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MARIE-ELISABETH DUBOURG

          Une rue de notre bourg porte le nom de la fondatrice de la Maison de Retraite, Marie Elisabeth Dubourg. Son oeuvre fut réalisée il y a trois siècles. La "mémoire" de son nom ne s'est pas  transmise jusqu'à nous, d'une génération à l'autre, comme on aurait pu le penser. Bien des Fougerollais la découvrent grâce à l'appellation de cette rue. Et pourtant Marie Elisabeth Dubourg fait bien partie de notre "patrimoine" local. Quelle fut sa personnalité ? Quelle fut l'ampleur de son oeuvre ?

          Marie-Elisabeth Dubourg est la fille d'un bourgeois parisien, Phillipe Dubourg et de Marie Lemaire. Cette dernière abjura solennellement la religion protestante en 1673, alors que sa fille avait 14 ans. On sait aussi que Marie-Elisabeth recueillit trois héritages : celui de son frère, celui de ses parents et celui de sa grand-mère maternelle. Dans ce XVIIéme siècle finissant, célèbre par la gloire de Louis XIV et les fastes de Versailles, se cachaient derrière cette brillante façade, des misères parmi les populations des villes et des campagnes. Très tôt, Marie-Elisabeth fut poussée par un désire de charité envers les autres, doublé d'une remarquable énergie. Au même moment, et spontanément, d'autres mouvements de charité émergeaient ici ou là, telle en Mayenne l'action de Madame Thulard à La Chapelle au Riboul, avec les mêmes intentions : secourir les malades indigents et développer l'instruction des filles.

          Pourquoi avoir choisi la Mayenne ? On ne le sait pas. Après un court séjour à Mayenne, Marie-Elisabeth tenta de réaliser son projet à Ambrières. Echec. Le hasard, la Providence selon certains fit que, rentrant à Mayenne, elle rencontra, en diligence, le curé Fougerolles du Plessis, Robert Dupont, devant lequel elle évoqua son échec. Immédiatement R. Dupont saisi l'occasion et l'invita à s'intéresser à sa paroisse. A ce moment-là, à Fougerolles, une modeste association charitable, créée en 1703 et gérée par quatre "Filles de la Charité" comme on les appelait, soignait les malades et instruisait les enfants. Mais elle manquaient de moyens. Marie-Elisabeth arrivait donc au bon moment pour relancer l'entreprise. Elle avait alors 48 ans. Elle arriva a Fougerolles en 1706. Mais, prudente, elle attendit quelques années, se contentent d'aider cette association locale qui végétait.

          Ce ne fut qu'en 1709, année marquée par un terrible hiver, qu'elle s'engagea, formulant officiellement sa dotation par un acte de 21 articles passé devant notaire. Après avoir rappelé ses objectifs : créer un Hôtel-Dieu à Fougerolles, "elle donne irrévocablement à Monsieur Robert Dupont, curé de Fougerolles, à Messire Eugène de Baugy, seigneur de Goué, au procureur-syndic et à tous les habitants de la dite paroisse" ses biens parisiens, mais s'en réserve l'usufruit pour réaliser ce futur Hôtel-Dieu dont elle donne le plan. Elle déclara en assurer la gestion, ainsi que le choix des filles de charité qui serons à ses côtés et qui ne pourrons être expulsées. Elle règle ensuite sa succession au profil de la Fille de Charité "qui sera la plus capable" et qui sera nommée par trois administrateurs "( le curé, le Seigneur de Goué, le syndic), lesquels vérifierons les comptes et la gestion de l'hôpital. Elle précise, même dans le détail, les modalités de sa gestion et demande des exonérations d'impôts, envisageant même des mesures en cas de refus de la part des autorités locales.

          L'acte fut confirmé par le Roi sous la forme d'une lettre patente datée de 1712. C'est l'acte que nous possédons, parchemin actuellement aux Archives Départementales et dont la mairie possède une photocopie. Louis XIV, s'adressant au curé et au seigneur "du bourg de Fougerolles", au syndic et aux habitants de la paroisse, confirme la donation et énumère les maisons et boutique qui constituent la donation, soit deux maisons sises à Paris, rue Saint Martin, vis-à-vis de la rue Neuve Saint Médéric où pend pour enseigne, à l'une le moulin, à l'autre la couronne d'Or, plus une autre maison avec ses cour et jardin et dépendances sise rue de Montreuil faubourg Saint Antoine et une loge ou boutique à la foire Saint Germain dans l'allée vulgairement appelée la rue Mercière'. De plus, il accorde certains privilèges à la fondation : possibilité pour l'Hôtel-Dieu de recevoir des dons; droit pour les administrateurs de disposer des biens de l'hôpital comme bon leur semblera ; remises d'impôts dus au Roi. D'autre part l'établissement sera"franc et quitte de tout droit de guet et de garde fortification fermeture de ville... de logement passage aides subsides et contributions de gens de guerres" toutefois une réserve : obligation pour les Filles de Charité de ne faire" ni voeux ni corps de communauté" Suivant la formule habituelle "Car tel est notre plaisir", la date de l'acte (1710)et la majestueuse signature du Roi "Louis". L'acte fut ensuite enregistré par la Cour des Aides en 1712. Il est accompagné de deux sceaux ; le grand sceau royal et le contre-sceau où sont imprimés, dans la cire, les emblèmes de la royauté.

           Assurée de ses droits par les deux actes précédents, Marie-Elisabeth voulu aussi assurer les finances de son entreprise. Elle investit dans l'immobilier par achat de terres et acquisition de rentes perçues sur des propriétés de généreux donateurs. Au cours des seules années 1716-1717, elle acquiert la Cour Bolvin et la Fleurs dans la région d'Ernée, semble-t-il, la Douardière, la Coutardière et la Crépinière en Saint Berthevin-la-Tannière, la terre d'Erbonne en Montaudin, ainsi que quelques immeubles et droits à Blanchelande en Fougerolles. On se souvient du grand meuble placé qans la grande salle de l'hôpital, composé de tiroirs munis chacun, d'une étiquette bien lisible, et qui collectaient les titres de propriété à raison d'un tiroir par ferme.

          Parallèlement à ces tractations, il fut procédé à un échange entre l'ancien presbytère de la paroisse situé route de Buais mais trop éloigné de l'église paroissiale (400m) et la maison qu'occupait, au bourg, l'association de bienfaisance créée en 1703, qui était, elle, proche de l'église (emplacement de la mairie actuelle). L'échange se fit aisément, les Filles de Charité trouvant là, dans et autour de l'ancien presbytère, le vaste espace nécessaire à leur action.

          Sur le terrain acquis route de Buais, trois ensembles s'implantèrent. Ils sont connus par les inventaires de 1722 et 1734 et sont décrits par le curé H. Chevalier dans son important ouvrage sur l'histoire de Fougerolles du Plessis rédigé au XIXéme siècle.

          Marie-Elisabeth s'installa d'abord, en 1711, probablement dans ou à l'emplacement de l'ancien presbytère. Ce fut la maison des malades. Les malades étaient répartis dans deux salles, l'une au premier étage, l'autre au rez-de-chaussée, l'une réservée aux femmes (4 lits) l'autre aux hommes '4 lits). S'ajoutaient diverses chambres pour les huit hospitalières.. A l'extrémité du bâtiment fut construite une chapelle. Selon H Chevalier, ce bâtiment a été détruit sauf le cellier.

          Un second corps de bâtiments, moins important que le précédent, comprenait les étables, la boulangerie et "quelques petites chambres qui donnent sur le jardin'. Nous pensons qu'il s'agit de bâtiments parallèles au précédent et séparés de ce dernier par une cour, la cour de la ferme actuelle.

          Le troisième ensemble implanté entre 1718 et 1722 est le plus important. Il correspond à la moitié du grand bâtiment actuel; dans sa partie actuel dans sa partie la plus proche du bourg, à proximité du grand portail. Cette construction est consacrée plus spécialement à l'instruction des petites Fougerollaises. On en connaît le plan en L . Au rez-de-chaussée, du nord au sud : cuisine, parloir 'qui deviendra plus tard la pharmacie), grande salle, puis la nouvelle chapelle à l'angle, puis un caveau et la salle de classe. A l'étage, des chambres dont celles des élèves pensionnaires. Le transfert de la chapelle en cet endroit avait libéré de l'espace et permis d'augmenter le nombre de lits des malades dans l'ancien bâtiment. Autre  intérêt de la nouvelle chapelle, intérêt majeur pour nous : "L'autel était orné d'un tableau estimé très cher, représentant la Visitation de Marie à Elisabeth" ( tableau actuellement dans la troisième chapelle construite plus tard et dont on ignorait l'auteur et la date). La Maison de Retraite s'honore donc aujourd'hui de posséder un remarquable tableau du XVIIIème siècle' et qui mérite pour cette raison, un nettoyage, un encadrement (le retable) et un environnement dignes de sa valeur. Avis aux généreux donateurs !De plus, comme je l'avais moi-même envisagé, H. Chevallier indique que le thème du tableau, la "Visitation" n'a pas été choisi au hasard, la donatrice ayant pour prénoms Marie et Elisabeth.

la-visitation-ch-hopital.jpg          Mais bientôt des craintes surgirent dans l'esprit de Marie-Elisabeth. L'acte de 1709 enregistré en 1710, fut rendu public seulement en 1712. Lenteur des tractations dans le milieu administratif de l'époque ? Manoeuvres sous jacentes hostiles à la fondation fougerollaise ? Dès 1710-1711 un individu avait prétendu que l'Hôtel-Dieu était "plus nuisible qu'utile" à Fougerolles. Les soeurs hospitalières durent engager une enquête pour en prouver l'utilité publique. Elles furent vivement soutenues par les Fougerollais. Mais ce fut surtout le Seigneur de Goué qui posa problème. Ce dernier avait pourtant soutenu l'entreprise à ses débuts : il avait renoncé à percevoir le droit de mutation à la suite de l'échange signalé ci-dessus. Il avait même donné un verger à Marie-Elisabeth. Mais "infatué de sa situation de seigneur de la paroisse, il ne prenait conseil que de lui-même, selon H. Chevallier, et se réservait le rôle prépondérant dans toutes les décisions". Ce" fut le cas pour la construction du mur de clôture. Deux clans se formèrent ; celui du seigneur de Goué soutenu par le syndic et celui de Marie-Elisabeth soutenu par R. Dupont.

          Craignant le scandale Marie-Elisabeth décida de modifier l'acte de 1709. Elle rédigea en 1723 un testament devant notaire. Après avoir exposé le problème, elle retire les droits donnés aux trois "administrateurs" dans l'acte de 1709. Elle choisit; pour lui succéder, Renée Maltête, son assistante appréciée, "sans qu'il soit besoin de l'avis des desdits sieurs, curé, seigneur et syndic". Elle prévoit même la succession de Renée Maltête, d'ailleurs d'une  manière étonnamment démocratique en ce XVIII ème siècle : toutes les soeurs de l'hôpital s'assemblent et procèdent entre elles à l'élection d'une supérieure ... sans autre administrateur et ainsi à perpétuité". Puis elle fait don de ses biens aux hospitalières et déclare n'avoir de  comptes à rendre qu'à "Monseigneur Evêque du Mans et à Monseigneur le Procureur-Général". La fondatrice libérait ainsi l'Hôtel-Dieu de l'emprise des autorités locales. Bien qu'évincé, un seul, R. Dupont approuvait pleinement les disposition de la fondatrice. L'application du testament fut l'occasion d'une rupture entre les trois anciens administrateurs et généra de nombreux conflits au cours du XVIIIème siècle.

          En 1726, Marie-Elisabeth Dubourg décédait à l'âge de 67 ans. Elle fut inhumée dans la chapelle qu'elle avait fait construire (la seconde chapelle). Puis son corps fut transporté en 1769 dans la chapelle actuelle. On aurait souhaité conserver le portrait de cette femme perspicace, énergique et généreuse. Son portrait peint, mentionné dans les inventaires, fut conservé jusqu'à la Révolution. En revanche, on a conservé le portrait de R. Dupont. Il se trouve dans la chapelle. Si R. Dupont ne fut pas le fondateur en titre de notre Maison de Retraite, c'est lui qui fit appel à Marie-Elisabeth Dubourg et qui oeuvra constamment à ses côtés. On lui doit une certaine reconnaissance même si on laisse le grand mérite de cette grande création à la fondatrice. Les projets de cette dernière furent donc réalisés et son s'amplifia jusqu'à nos jours. Nous nous devions de lui accorder le nom d'une rue afin de perpétuer mieux encore son souvenir. 

 

                                                                                                                                        Huguette Flatrès-Mury 

Date de dernière mise à jour : 2023-12-10 11:00:58

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